La rue? Nom féminin, voie de circulation routière aménagée à l’intérieur d’une agglomération, habituellement bordée de maisons, d’immeubles, de propriétés closes, selon la définition du Larousse. La rue, c’est aussi un morceau d’espace. Dans son ouvrage Espèces d’espaces, Georges Perec l’interroge et en donne une lecture éclairante.
Avec Espèces d’espaces, publié en 1973, Georges Perec examine son rapport à l’espace dans toutes les dimensions. Il questionne, en les décrivant, les différents espaces urbains (l’immeuble, la rue, le quartier, la ville…). Pérec part du principe qu’ il y a plein de petits bouts d’espace qui s’emboitent les uns dans les autres et que vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner.
Dans ce journal d’un usager de l’espace, Perec propose une lecture originale de la rue. Pour la décrire, explique-t-il, il faut y aller presque bêtement; se forcer à écrire ce qui n’a pas d’intérêt, ce qui est le plus évident, le plus commun, le plus terne. L’auteur ne souhaite ni l’inventer encore moins la réinventer, juste l’interroger.
Que peux-on lire en creux en questionnant la rue d’hier? Voici quelques extraits sans mise en perspective. Juste pour le plaisir de la lecture et de la réflexion.
Espèces d’Espaces : « La rue ». Georges Perec. P 93. Ed Galilée
Les immeuble sont à côté les uns des autres, ils sont alignés. Il est prévu qu’ils soient alignés, c’est une faute grave pour eux quand ils ne sont pas alignés : on dit alors qu’ils sont frappés d’alignement, cela veut dire que l’on est en droit de les démolir, afin de les reconstruire dans l’alignement des autres.
L’alignement parallèle de deux séries d’immeubles détermine ce que l’on appelle une rue : une rue est un espace bordé, généralement sur ses deux plus longs côtés de maisons : la rue est ce qui sépare les maisons les unes des autres et aussi ce qui permet d’aller d’une maison à l’autre, soit en la longeant, soit en traversant la rue (….).
A l’inverse des immeubles qui appartiennent presque toujours à quelqu’un, les rues n’appartiennent en principe à personne. Elles sont partagées, assez équitablement, entre une zone réservée aux véhicules automobiles, et que l’on appelle la chaussée, et deux zones, évidemment plus étroites, réservées aux piétons, que l’on nomme les trottoirs. Un certain nombre de rues sont entièrement réservées aux piétons, soit d’une façon permanente , soit pour certaines occasions particulières. Les zones de contact entre la chaussée et les trottoirs permettent aux automobilistes qui désirent de ne plus circuler de se garer. Le nombre de véhicules automobiles désirant de ne pas circuler étant beaucoup plus grand que le nombre de places disponibles, on a limité ces possibilités de stationnement, soit, à l’intérieur de certains périmètres appelés « zones bleues », en limitant le temps de stationnement soit, pus généralement, en instaurant un stationnement payant (…)
La rue : essayer de décrire la rue, de quoi c’est fait, à quoi ça sert. Les gens dans les rues. Les voitures. Quel genre de voitures ? Les immeubles : noter qu’ils sont plutôt confortables, plutôt cossus ; distinguer les immeubles d’habitation et les bâtiments officiels.
Les magasins. Que vend-on dans les magasins ? Il n’y a pas de magasins d’alimentation. Ah ! si, il y a une boulangerie. Se demander où les gens du quartier font leur marché.
Les cafés. Combien y a-t-il de cafés ? Un, deux, trois, quatre. Pourquoi avoir choisi celui-là ? Parce qu’on le connaît, parce qu’il est au soleil, parce que c’est un tabac. Les autres magasins : des antiquaires, habillement, hi-fi, etc. Ne dire, ne pas écrire « etc. ». Se forcer à épuiser le sujet même si ça a l’air grotesque, ou futile, ou stupide. On n’a encore rien regardé, on n’a fait que repérer ce que l’on avait depuis longtemps repéré.
S’obliger à voir plus platement. Déceler un rythme : le passage des voitures : les voitures arrivent par paquets parce que, plus haut ou plus bas da la rue, elles ont été arrêtées par des feux rouges. Compter les voitures. Regarder les plaques des voitures. Distinguer les voitures immatriculées à Paris et les autres. Noter l’absence des taxis alors que, précisément, il semé qu’il y ait de nombreuses personnes qui en attendent.