Géographe, Jacques Lévy est spécialiste de géographie politique auteur de nombreux ouvrages, professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, il a été lauréat en 2018 du prix Vautrin-Lud, considéré comme le prix Nobel de Géographie. Il est le Grand Témoin du dernier numéro de la revue TEC MOBILITE INTELLIGENTE et il nous livre sa vision de la mobilité. Extraits.
La question de la mobilité est intrinsèquement liée à celle des territoires : territoire urbain, périurbain, aire urbaine… Mais de quoi parle-t-on exactement quand on parle de territoire ? Quel sens, le géographe que vous êtes donne-t-il à ce mot ?
Le mot « territoire » est extrêmement polysémique, y compris dans domaine de la recherche. Il n’existe pas en fait de véritable consensus sur ce terme. Personnellement, je l’utilise comme un « type d’espace particulier », le terme générique serait plutôt celui d’« espace ». Il est important de comprendre que tous les « espaces » ne sont pas des « territoires » cela est particulièrement utile dans le domaine de la mobilité. En effet, il n’y a pas de mobilité qui ne soit pas d’emblée spatiale, mais dans le même temps la mobilité est un type d’activité spatiale qui n’est pas territoriale. La mobilité se rapporte aux réseaux, elle est réticulaire, on se déplace d’un point à un autre sur une ligne. Si l’on devait trouver un lien entre mobilité et territoire, je me demanderais quelle est la relation entre la mobilité et les territoires, qu’il s’agisse de territoires d’individus ou de territoires politiques. Il existe des contradictions entre les territorialités de la gestion de l’espace local politique et la mobilité (….)
« La mobilité est un type d’activité spatiale qui n’est pas territoriale »
Justement, la mobilité dans les territoires dits « périurbains » un enjeu majeur pour tous les acteurs de la mobilité. Quelle est votre vision des territoires périurbains ?
Le périurbain « à la française » a cette caractéristique de se relier matériellement et dans les imaginaires à l’idée d’une continuation ou d’un retour du rural. Mais le périurbain n’est rien d’autre qu’un morceau des métropoles, il fait partie des espaces urbains. Il existe d’ailleurs un lien fonctionnel très fort entre les agglomérations et les espaces périurbains. L’Insee utilise le terme d’« aire urbaine » pour caractériser ces espaces disjoints qui cumulent, agglomération classique, couronne et périurbain. Cette configuration spatiale de base repose très largement sur la mobilité et en particulier sur la motorisation individuelle qui a rendu le périurbain possible parce qu’il a permis à des espaces à faible densité d’être tout à fait bien intégrés à des ensembles urbains parfois très vastes.
Le périurbain représente 25 à 30 % de la population en France et si l’on regarde la situation sociale de ces régions, les zones périurbaines sont celles où il y a le moins de gens en difficulté. Les faits sont extrêmement clairs, les plus pauvres sont essentiellement concentrés dans les centres des grandes villes, dans les banlieues ou plus loin dans ce que l’on peut appeler l’« infra-urbain », c’est-à-dire des zones qui sont elles-mêmes trop loin des grandes villes pour permettre des migrations pendulaires. Mais celles et ceux qui font le choix de s’installer dans le périurbain sont, dans l’immense majorité, des propriétaires qui vivent en famille et possèdent au moins une voiture. Ils ne s’attendent pas d’ailleurs à ce qu’il y ait une sortie de RER à leur porte. Ce que je veux dire et toutes les études menées sur le périurbain le montrent, c’est que parmi les motivations de celles et ceux qui s’y installent, il y a le rejet de l’espace public, notamment mobile, l’idée de ne pas être exposé à une altérité non désirée. De fait, la mobilité privée, c’est-à-dire la voiture, en est une composante logique….
Pour retrouver l’intégralité de l’interview de Jacques Lévy rendez vous sur : https://atec-its-france.com/revue-tec
Bibliographie
- Atlas politique de la Théorie de la justice spatiale. Géographies du juste et de l’injuste,avec Jean-Nicolas Fauchille et Ana Póvoas, Odile Jacob, 2018.
- France (dir.), Autrement, 2017.
- Réinventer la France. Trente cartes pour une nouvelle géographie, Fayard, 2013.
- Les sens du mouvement : Modernité et mobilités dans les sociétés urbaines contemporaines (dir.), avec Sylvain Allemand et François Ascher, Belin,