« Parce que l’avenir de notre pays se construit aujourd’hui avec la jeune génération qu’elle soit urbaine ou rurale », le Laboratoire de la Mobilité Inclusive a lancé une recherche sur les « Jeunes ruraux et la mobilité». Cette recherche menée conjointement par le docteur en Sciences de l’Éducation, Gérard Hernja et par le sociologue, Alain Mergier a été présenté lors des 6e Rencontres de la Mobilité Inclusive qui se sont tenues le 5 février 2020 à la Cité Internationale Universitaire de Paris.
« À travers cette recherche, nous voulions comprendre la manière dont les jeunes, dans les territoires ruraux, envisageaient les problématiques de déplacement et de mobilité. Au-delà de l’étiquette qu’on colle parfois à ces jeunes, d’assignés à résidence ou de jeunes manquant d’ambition » a expliqué Gérard Hernja lors de la présentation de la recherche à l’occasion des 6e rencontres de la mobilité inclusive.
Il ne s’agit pas d’une étude, mais bien d’une recherche : « Une recherche permet de mieux comprendre, parce qu’elle a été construite pour cela. Ce n’est pas la recherche qui permet de comprendre, mais le type de recherche. Donc à travers une approche qualitative, une méthodologie spécifique, un travail sur le terrain, avec les habitants, en vivant avec eux, en les interrogeant, en observant les jeunes, en les filmant dans leur vie ordinaire. En a véritablement donné la parole à des habitants pour qu’ils deviennent non plus seulement des sujets de recherche, mais des acteurs de la recherche. La parole que nous relayons et interprétons est celle des villageois et plus particulièrement des jeunes », précise Gérard Hernja.
Problématique
Ce travail de recherche a notamment pour objectif de « concrétiser les problèmes spécifiques des jeunes en relation avec le développement de leur capacité́ à être mobile ». La jeunesse est un moment particulier de la construction de cette compétence mobilité, avec des choix déterminants dans la perspective des mobilités géographiques, résidentielles et sociales futures. Le territoire rural est un lieu particulier pour cette construction, avec très souvent une absence de diversité dans les solutions transport, mais aussi dans les métiers et les avenirs sur place. Cette mise en relation s’est réalisée à travers une immersion dans un village Vosgien de moins de 150 habitants, Thuillières. Au-delà des représentations sur la ruralité et sur les populations des campagnes, cette recherche a permis de voir émerger des discours et des connaissances permettant de mieux comprendre la réalité telle qu’elle est vécue et exprimée dans la ruralité par les habitants eux-mêmes, et plus particulièrement les jeunes.
Éléments de méthodologie
L’idée était de croiser les regards de deux chercheurs, à partir de leurs expériences dans le champ de la Sociologie et des Sciences de l’Éducation. L’un des chercheurs habite et vit à Thuillières depuis plus de douze années. La question de la mobilité a été abordée en la reliant avec le concept d’autonomie, un concept fécond dans l’ensemble des Sciences Humaines.
Les chercheurs ont observé et suivi les jeunes du village, répartis a priori en fonction de leurs âges afin de comprendre le déroulement de leur vie ordinaire dans le village. Ils ont mené des entretiens réflexifs avec ces jeunes en les réunissant autour d’un objectif commun en partant des éléments d’observation issus lors de l’immersion. Des entretiens semi-directifs ont été menés avec l’ensemble des parents, avec les personnes en couple dans le village et en âge d’avoir des enfants. Des entretiens ont également été conduits avec plusieurs habitants du village pouvant apporter un éclairage complémentaire au champs de recherche, notamment par rapport à leur engagement associatif ou social au sein du village.
Comment définiriez-vous cette mobilité des jeunes ?
Gerard Hernja :« Le premier élément que je mettrais en avant c’est que ces jeunes font très tôt des expériences de mobilité, notamment à travers l’ensemble des déplacements qui leur sont imposés.On pourrait dire que cela commence à la naissance, le plus souvent à Épinal, au retour de la maternité. Ensuite ils sont dans la voiture des parents pour chaque rendez-vous, au moins à dix kilomètres, mais souvent bien plus. Dès la maternelle, ils prennent le bus pour Vittel. Ils partent ainsi à huit heures et rentrent après 17 heures, donc neuf heures à l’extérieur. Pareil pour l’école primaire. Ils prennent le même bus même si les horaires de classe sont décalés et que les petits de la maternelle attendent près de 30 minutes dans le bus la sortie des autres enfants.Au collège c’est encore Vittel, avec un départ à 7 heures du matin et un retour à 16h45. Au lycée c’est l’internat et à l’université c’est la chambre ou le studio.Donc pour des enfants confinés dans les villages, assignés à résidence, ils sont souvent hors du village. L’avantage de ce système c’est que les enfants font très tôt l’expérience de l’autre, de celui qui n’est pas du village, mais de la petite ville. Là ou pour les ainés l’arrivée en 6e après quatre années d’école en petit groupe dans le village, pouvait être traumatisant, pour eux l’entrée en sixième n’est plus aussi compliquée. .Ils ont aussi tous déjà été en vacances, souvent mêmes à l’étranger, au bord de la mer ou à Paris (moi la mer c’était à 18 ans, Paris c’était plus tard encore…). Ils sont plutôt informés, au courant des actualités, curieux et ouverts. Pas si différents, extérieurement, de tous les enfants : ils parlent de la même façon, s’habillent de la même façon, regardent les mêmes films, les mêmes séries. La mobilité pour ces jeunes c’est beaucoup les chemins qu’ils ont dans la tête, les chemins qu’ils construisent aussi par rapport à leurs désirs et leurs rêves ? »
Alors comment se rêvent-ils et où se rêvent-il ? « Pour les enfants, vétérinaires, médecins, actrice, assistante sociale. Pour certains dans la ruralité, mais pas forcément à Thuillières, pour d’autres en ville. La plupart d’entre eux ont déjà intégré l’idée qu’ils devront partir. Pour les adolescents, pompiers, hôtesse de l’air, technicien, monteur de cinéma… parfois dans le village ou à proximité. »
Un traitement qualitatif des données a été effectué, avec un choix de différentes catégories d’analyse. Les données ont ensuite été classées dans ces catégories avant de les croiser avec les théories et les concepts clefs mobilisés. Ces niveaux d’analyse et de traitement des données ont permis d’inférer des résultats de recherche et de produire différentes préconisations.
Gérard Hernja : « Je parle plus volontiers d’orientation parce que le but de la recherche est surtout d’expliquer un phénomène et d’aider à le comprendre. Néanmoins, parce que nous sommes aussi impliqués dans cette vie de la ruralité, nous sommes allés vers quelques préconisations ».
Ce qu’il faut retenir des orientations :
- Arrêtons de dénigrer la ruralité, d’en donner une image qui ne correspond pas à la réalité à travers des clichés souvent misérabilistes
- Apprendre à travailler avec le terrain, avec les habitants, avec ceux qui y vivent, faire émerger des forces vives dans les territoires et surtout leur laisser de la place dans les décisions ou les discours
- Tenir compte des spécificités de la ruralité et penser des solutions adaptées, dans une démarche d’éducation et pas d’imposition ou d’injonction : exemple avec la place de la voiture et du permis de conduire
- Donner une place spécifique aux associations pour qu’elles continuent à irriguer la ruralité, pour créer du lien social et de la vie.
« En termes de préconisations », explique Robert Hernja » nous avons quelques idées précises, deux exemples : Inverser l’approche du permis de conduire, passer d’un permis pour un travail à un travail pour un permis ou encore trouver des tuteurs dans la ruralité pour accueillir les jeunes des villes, surtout les étudiants ».
Pour retrouver la synthèse de la recherche rendez-vous sur le site du laboratoire de la mobilité inclusive.