Solar Impulse 2 s’est envolé ce lundi matin d’Abou Dhabi pour un tour du monde sans aucune goutte de carburant, seulement à l’énergie solaire.
L’appareil, piloté par le Suisse André Borschberg, a décollé à 07h12 heure locale (04h12 GMT) de l’aéroport Al-Bateen à Abou Dhabi et pris la direction de Mascate, la capitale d’Oman, où il est attendu en fin de journée. L’appareil, piloté par le Suisse André Borschberg, a décollé à 7h12 heure locale (4h12 heure de Paris) de l’aéroport Al-Bateen à Abou Dhabi et pris la direction de Mascate, la capitale d’Oman, où il est attendu en fin de journée.
Grâce à leur appareil tapissé de 17 000 cellules solaires fournissant de l’énergie à quatre moteurs électriques à hélice, Bertrand Piccard et André Borschberg seront les premiers à survoler océans et continents à l’aide du soleil. « Nous voulons démontrer que les technologies propres et les énergies renouvelables permettent aujourd’hui d’accomplir des choses considérées comme impossibles », avait expliqué Bertrand Piccard, lors sa conférence de Presse à Abu Dhabi, en janvier dernier.
Un itinéraire en 12 étapes
Solar Impluse 2 va décoller des Emirats arabes unis, traverser deux océans, survoler quatre continents en 12 étapes pour accomplir son périple autour du globe de 35 000 km. L’avion fera un premier arrêt dans le sultanat d’Oman, puis à Ahmedabad et à Varanasi, en Inde, à Mandalay en Birmanie ensuite, avant de se poser en Chine, à Chongqing et à Nanjing. Suivra la traversée de l’océan Pacifique via Hawaii, puis la traversée des Etats-Unis. Phoenix et New York font partie des étapes, une troisième halte américaine reste encore à définir. Viendra ensuite la traversée de l’Atlantique, puis des escales dans le sud de l’Europe ou en Afrique du Nord avant de revenir à Abu Dhabi.
Construit à 80 % en fibre de carbone, Si2 mesure 22 m de long et son envergure de 72 m est supérieure à celle d’un Boeing 747, pour un poids de 2,5 tonnes. Il a fallu quatre ans à une équipe de 80 ingénieurs et techniciens pour lui donner naissance en Suisse. Démonté pour être acheminé dans le Golfe par avion cargo, l’avion a été remonté à Abu Dhabi.
En mai 2012, Solar Impulse 1 avait effectué son premier vol intercontinental. Parti de Payerne en Suisse, il avait fait escale à Madrid, Rabat, puis Ouarzazate, avant de rentrer en Suisse, parcourant ainsi 6.000 kilomètres : une première pour un avion à énergie solaire.
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Dans le cadre de mon livre, Les défis du futur « regards croisés sur nos mutations technologiques » ( janvier 2013), Bertrand Piccard avait accepté de nous livrer son point de vue sur la question de l’enjeu sociétal qu’est l’efficience énergétique. Voici ce qu’il disait sur ce sujet :
Bertrand Piccard, quel est le bilan de notre consommation énergétique et comment faire, selon vous, pour réduire nos besoins ?
Bertrand Piccard. Ce ne sont pas tant les besoins qu’il faut réduire, que le gaspillage. Si vous essayez de réduire les besoins, vous serez tout de suite confrontés à de fortes résistances de la part de ceux qui, assez justement, n’ont pas envie de diminuer leur confort de vie. La situation dans laquelle nous nous trouvons ressemble à celle d’une baignoire qui fuit. Au lieu de colmater la fuite, nous augmentons le débit du robinet. Les gouvernements parlent toujours d’augmenter la production d’énergie au lieu de mettre en place des moyens pour l’économiser. Nous devons devenir plus efficients, non seulement pour des questions environnementales mais aussi parce que les économies d’énergies rapportent de l’argent. Il est rentable d’isoler sa maison, d’utiliser des ampoules LED, de rouler dans une voiture hybride…
Comment les technologies peuvent-elles contribuer à cette efficience énergétique ?
En généralisant les nouvelles technologies, les technologies propres que nous utilisons sur Solar Impulse, nous pourrions d’ores et déjà diviser par deux la consommation d’énergie fossile de notre monde et produire la moitié du reste avec des sources renouvelables. Ces technologies existent; elles pourraient être largement utilisées mais elles restent trop souvent confinées dans des laboratoires ou des start-up. Seules quelques-unes arrivent sur le marché et touchent le grand public.
Pourquoi leur pénétration est-elle si lente, quels sont les freins ?
Le premier frein, c’est la peur du changement. Il existe de nouvelles technologies, de nouvelles manières de faire, des horizons qui s’ouvrent. Mais les acteurs, industriels ou politiques, ont peur de changer; ils sont pris dans des habitudes, dans des obligations de rentabilité à court terme ou d’amortissements industriels. Le second frein est constitué par le risque de distorsion de concurrence : si un acteur change et que les autres ne changent pas, cela peut créer un déséquilibre sur le marché et au final, personne n’osera faire le premier pas. Enfin, il y a le coût des investissements. Ces projets ne sont souvent rentables qu’à moyen ou long terme, alors que notre monde adore le court terme.
Sont-ils d’ailleurs vraiment rentables ? Le renouvelable n’est-il pas plus cher que le fossile ?
Je pense que c’est une erreur d’opposer le prix des énergies fossiles à celui des renouvelables. Le prix des énergies renouvelables comprend la totalité de leur coût, contrairement aux énergies fossiles, dont toutes les externalités sont payées par d’autres (CO2, marées noires, guerres, reconstitution du stock…). Commençons par internaliser le coût réel des énergies fossiles et l’on verra que déjà maintenant le renouvelable est plus avantageux. Mais pour comprendre cela, il faut avoir une vision globale, macroéconomique.
D’autre part, il est illusoire d’attendre que les règles du libre marché permettent de remplacer progressivement le fossile par le renouvelable. Nous vivons dans un monde globalisé et spéculateur et les variations de prix sont trop irrégulières. De plus, certains dégâts causés à l’environnement sont déjà irréversibles. Il faut donc agir de manière rapide. On ne peut pas attendre que les choses se fassent « naturellement ».
Que souhaitiez-vous prouver avec votre projet Solar Impulse ?
Nous voulions prouver qu’avec des énergies renouvelables et des technologies propres qui permettent d’économiser de l’énergie, on peut accomplir des choses incroyables. Depuis plus de 40 ans, j’entends que les énergies renouvelables représentent un retour en arrière, une baisse de confort, une menace pour la mobilité et la croissance, alors que c’est exactement le contraire. Maintenant qu’un avion vole jour et nuit sans carburant avec un pilote à bord, plus personne ne peut honnêtement continuer à prétendre qu’on ne peut pas utiliser ces technologiques dans la vie de tous les jours, pour des voitures, des bâtiments, des chauffages ou des systèmes d’éclairage !
Justement, de quelle manière l’expérience Solar Impulse pourrait-elle être dupliquée ou utilisée dans la vie de tous les jours ?
Tous les équipements, matériaux et procédés de construction sont utilisables pour d’autres applications de la vie de tous les jours. Les fibres de carbone, nanotechnologies, matériaux composites et autres polymères de Solvay permettent de fabriquer, par exemple, des moyens de transports plus légers et donc moins gourmands en énergie. Cela va de l’avion à l’ascenseur, en passant par les véhicules. C’est tout de même aberrant de fabriquer des voitures qui pèsent des tonnes, quand on connait le prix que cela coûte pour les déplacer. Nous avons par ailleurs des moteurs électriques avec 92% de rendement qui peuvent être utilisés dans les moyeux de roue des voitures électriques. Les mousses que nous fournit Bayer Material Sciences pour l’avion, sont d’excellents isolants pour les bâtiments et les réfrigérateurs. Idem pour le système d’éclairage : les 16 phares d’atterrissages au LED conçus par Omega permettent de voir la piste comme en plein jour. Ce système consomme au total 100 watts, autrement dit l’équivalent de deux lampes de chevet ! Tout cela peut déjà être utilisé dans la vie de tous les jours et un marché peut se développer, mais le changement ne viendra pas de l’intérieur du système.
Que voulez-vous dire par le changement ne viendra pas de l’intérieur ?
Le changement viendra de l’extérieur ; ce sont les non-spécialistes qui ne connaissent pas les règles du système qui vont commencer à le changer. Les tenants du système, eux, vont s’accrocher au risque de disparaître. Voyez l’exemple de Kodak qui disparaît après avoir raté le virage du numérique. Je vous cite un exemple : nous avons en Suisse une société qui travaille à la commercialisation de petits modules d’électrolyse de l’eau, ce qui permettra d’avoir chez soi son propre hydrogène pour le fonctionnement de sa voiture ou de sa maison. Ce n’est pas un industriel de l’énergie qui est à l’origine de ce projet mais un horloger. Rappelez-vous que ce ne sont pas des vendeurs de bougies qui ont inventé l’ampoule électrique ! Pourquoi les grandes entreprises légitimes ne se lancent-elles pas ? Nous allons assister, dans le domaine de l’énergie, à la naissance d’un nouvel éco système et à l’arrivée de nouveaux acteurs.
Vous estimez par ailleurs que pour consommer moins il faut changer le cadre légal, pouvez-vous nous expliquer ?
Aujourd’hui, nous avons conscience de faire « faux » mais nous ne faisons pas encore « juste ». Tant que le cadre légal permet de gaspiller, on gaspillera. J’ai vu des hôtels modernes avec des fenêtres à simple vitrage où je chauffais l’extérieur… Presque toutes les voitures consomment entre 2 et 7 fois ce que la technologie leur permettrait de consommer. Pourquoi ne jette-t-on plus ses ordures dans la forêt comme on le faisait il y a encore trente ou quarante ans ? Parce que c’est devenu interdit et punissable. Aujourd’hui, il est encore autorisé de gaspiller autant d’énergie qu’on veut, et de rejeter dans l’atmosphère autant de CO2 qu’on veut. C’est pourquoi il faut élargir le cadre légal à la consommation énergétique. Paradoxalement, c’est ce qui permettra aux entreprises comme aux privés de faire plus de profit à une époque où l’énergie coûte de plus en plus chère !
Que faudrait-il, selon vous, comme règlementation ?
Je pense qu’il faudrait une règlementation qui établisse clairement combien les produits qui arrivent sur le marché ont le droit de consommer. Et combien les procédés de fabrication doivent économiser en termes d’énergie fossile. Comme cela on ne pénalisera jamais l’utilisateur. Mais le cadre doit s’arrêter là. Il ne s’agit pas de dire aux industriels comment faire pour atteindre les objectifs. Il faut seulement leur donner un objectif global et laisser leur créativité faire le reste. Ils seront ainsi forcés d’utiliser des technologies propres et des sources renouvelables. J’ai vu de nombreux industriels qui réclament ce cadre légal pour éviter les distorsions de concurrence et savoir plus précisément dans quelle direction investir.
N’est-ce pas tout de même un peu paradoxal que quelqu’un comme vous, un pionner, attende autant de la règlementation ? Pourquoi la solution ne serait-elle pas l’addition et la multiplication d’expérimentations comme les vôtres ?
Je vois justement en étant pionnier, comme vous le dites, à quel point beaucoup d’autres ne le sont pas !… Il ne faut pas mal interpréter cette phrase ; je veux juste dire par là que nombre d’industriels ou de politiques ont peur d’oser. Beaucoup attendent un cadre légal pour se lancer. Ce n’est pas évident pour moi de prôner la règlementation, car j’ai toujours cru que la liberté individuelle pourrait apporter des solutions à grande échelle. Mais cela ne suffit pas. Cela ne mène qu’à des solutions à toute petite échelle, à des micro-exemples, alors que nous sommes dans l’urgence de les propager rapidement. Avant de m’occuper d’énergie, j’avais une consultation de psychiatre. Les patients ont une telle peur du changement qu’ils ne viennent consulter que lorsqu’ils sont en crise. Ils ne disent pas « aidez-moi à changer » mais « aidez-moi à retrouver ce que j’avais auparavant !». Dans l’énergie, c’est la même chose, il faut apprendre à changer et non pas à essayer de retrouver ou de maintenir ce qui ne fonctionnait pas. Il faut aller vers un nouvel équilibre. Si nous ne réagissons pas maintenant, nous allons diminuer notre qualité de vie. Et parce qu’il faut du temps pour changer, il faut introduire cette obligation dès maintenant.
C’est donc ce cadre légal qui pourrait permettre de passer d’une économie de volume à une économie d’efficience ?
Il y a plusieurs manières d’y arriver. On peut augmenter artificiellement le prix de l’énergie, au risque d’instaurer des distorsions de concurrence avec d’autres pays et d’autres producteurs. C’est pourquoi, je pense qu’il est préférable de mettre en place ce cadre légal avec des objectifs à atteindre. Mais cela doit être fait par des gouvernements, et non pas sous forme de recommandations par des institutions sans aucun pouvoir.
Quel message souhaiteriez-vous faire passer aux générations futures ?
Mais aucun ! Ce que je veux dire par là, c’est qu’il ne sert à rien de s’adresser aux générations futures : c’est à celles d’aujourd’hui qu’il faut s’adresser. Comment voulez-vous motiver et convaincre un industriel, qui a des rapports financiers à rendre, qui doit faire des bénéfices et qui a besoin de rentabilité et de croissance, en lui disant qu’il doit s’intéresser aux générations futures? Toute l’action doit être axée sur la génération d’aujourd’hui, en lui montrant que l’on peut développer une industrie basée sur les technologies propres pour créer des emplois, ouvrir de nouveaux marchés avec de nouveaux produits, faire davantage de bénéfice, augmenter le pouvoir d’achat et améliorer la qualité de vie. Et tout cela servira bien évidemment aussi aux générations futures !
Les Défis du Futur. Regards croisés sur nos mutations technologiques.
Edition Nouveau Monde. Janvier 2013