Elle est la star du Mondial de l’automobile qui se tient Porte de Versailles à Paris, la voiture autonome est partout. Si tous les constructeurs rivalisent et annoncent aujourd’hui leurs projets, il y a 6 ans à peine, le sujet faisait plutôt surtout sourire…. «Chez Renault comme chez PSA, on estime que la voiture autonome n’est qu’un simple rêve d’ingénieur et que le véhicule à conduite assistée n’est pas d’actualité ». Ces propos semblent sortir d’un autre temps, tant l’accélération que nous vivons est exponentielle et pourtant pas vraiment.
Nous sommes en 2010, je rencontre alors des constructeurs, des équipementiers, des chercheurs, des ingénieurs pour la rédaction de mon livre « La voiture de demain », la révolution automobile a commencé. Si une grande partie du livre est consacrée à l’arrivée de l’électromobilité, les derniers chapitres évoquent la route de demain et à la voiture autonome.
En voici quelques extraits. Ils racontent que la prospective a parfois ses limites, que la réalité dépasse souvent l’imagination et que le temps d’hier c’était il y a un siècle :
Partie VI Vers la route intelligente. Chapitre 3. Dans combien de temps ? P217
(…)Quelle révolution ! Il y a encore 10 ans, en l’an 2000, la voiture était totalement indépendante de la route. La compréhension de son environnement était régie par le seul conducteur. Les véhicules étaient encore totalement indépendants les uns des autres et n’entraient en interaction que dans une proximité immédiate, en cas de bouchon, ou au pire en cas de collision !
Souhaitable ou pas, la révolution technologique bouleverse tout sur son passage et fait changer le modèle de nature. La voiture est à l’aube d’une grande rupture qui se traduit à la fois par une modification de sa propulsion, avec l’arrivée de la voiture électrique et par l’intégration massive des technologies de l’information et des logiciels embarqués. Certains spécialistes estiment, d’ailleurs, que l’asymptote du développement technologique sera atteinte par ces technologies de l’information et par ces logiciels, plus que par la modification de la motorisation du véhicule.
En dix ans, d’un point de vue technique, l’automatisation partielle de la conduite est déjà devenue une réalité, avec les systèmes électroniques embarqués ou les systèmes coopératifs, même si le conducteur conserve toujours l’illusion d’être le seul maître à bord !
A quelle échéance, les autres bouleversements attendus, vont-il arriver ?
D’ici à 2018, l’automatisation de la conduite se poursuit et franchit un nouveau seuil. Avec la commercialisation des systèmes de freinage automatique, la conduite automatique, en situation d’urgence, échappe au conducteur. Parallèlement, les informations provenant de la route sont de mieux en mieux exploitées. Le système s’affine grâce à un accroissement considérable des données accessibles par le réseau. La route envoie l’information routière contenue dans les panneaux directement au véhicule et au conducteur sur son tableau de bord. L’équipement de certains tronçons par des capteurs et émetteurs permet l’introduction des transports en commun automatisés sur des sites spécifiques.
De 2018 à 2025, les intentions et les directions des véhicules seront connues des autres véhicules, la communication « car to car » devient réalité. Par ailleurs, le réseau commence à agir avec la voiture pour les contrôles et des directives simples, puis les tronçons s’équipent de capteurs et d’émetteurs. La route intelligente se dessine.
Après 2025 ? Une nouvelle frontière majeure pourrait être franchi. Certains parlent d’utopie, mais d’autres y travaillent déjà : la conduite totalement autonome, sans volant. Franchissons la frontière.
Chapitre 4. La voiture sans volant
(…)La voiture roule à 70 km/h, en pleine ligne droite, prend un virage, évite des obstacles, continue sa route, puis s’immobilise. Tout cela sans conducteur.
La scène se déroule à Stuttgart, en Allemagne sur les pistes d’essai, très surveillées, de Mercedes-Benz. Le constructeur allemand est le premier au monde à intégrer dans son protocole d’essai, une conduite automatisée. Désormais, les essais, qui consistent souvent en des tests d’endurance ainsi qu’à des manoeuvres périlleuses, sont faits sans conducteur. La conduite automatisée consiste à confier à un robot le soin de manier le volant et de commander l’accélération et le freinage. À son tour, le robot est commandé par un ordinateur installé dans le véhicule. Le constructeur automobile estime que les robots sont tout simplement meilleurs que l’homme dans de telles circonstances.
Ces essais préfigurent, dans le même temps, ce que pourrait être demain une voiture sans conducteur. La volonté des constructeurs étrangers, surtout allemands, de développer ce genre de technologie ne fait aucun doute.
Il ne s’agit pas de science-fiction, les voitures effectuant des créneaux toute seules sont déjà sur le marché et de nombreux prototypes simplifiés existent, à l’image du prototype Audi TTS robotisé, capable de rouler à 130 km/h. Enfin, de grands démonstrateurs montrent que l’on peut faire rouler une voiture sans conducteur sur des distances très longues de plus de 400 km.
Dans le domaine des longues distances, l’initiative la plus spectaculaire revient au Darpa, l’agence de Recherche & développement du Pentagone. Depuis 2005, elle organise chaque année une course de véhicules sans pilote, le Darpa Urban Challenge. Cette compétition met en jeu des véhicules terrestres sans pilotes et autonomes sur de très longues distances. Les critères de sélection sont drastiques. Les véhicules sans conducteur doivent être capable de s’arrêter à des stops, d’effectuer des manœuvres de parking ou de circuler au milieu d’un trafic de voitures conduites par des humains. Pour sa dernière édition, onze engins se sont lancés sur un parcours mixte à la fois sur route mais aussi en pleine ville. Certes, le trajet était, fermé à la circulation, mais une cinquantaine de véhicules conduits par des observateurs simulaient un trafic réel.
Un championnat du même type, mais cette fois-ci en Europe, devrait démarrer en 2011 The Grand Cooperative Driving Challenge(14) se déroulera à Helmond aux Pays-Bas. Les participants devront faire évoluer leur véhicule le plus efficacement possible à travers une série de scénarios de trafic prédéterminé. Parmi les équipes inscrites, on retrouve un grand nombre d’instituts de recherche, pour la plupart soutenus par des constructeurs automobiles : Fiat, Volvo, Volkswagen, Audi, Mazda, Ford. Pas de Français à l’horizon.
Ces exemples de compétitions sportives, comme les nombreux travaux effectués par les laboratoires du monde entier, démontrent la faisabilité technique d’un tel véhicule. Mais pour l’instant, cette faisabilité est acquise à petite échelle, à petite vitesse, sur des prototypes, sur des sites propres et par beau temps. L’objectif des chercheurs et des industriels est désormais de développer des concepts opérationnels de véhicule sans volants, capables de rouler sur une route intelligente, de disposer de communication permanente avec les autres voitures et les infrastructures.
Le challenge consiste à obtenir des performances à grande échelle sur plusieurs véhicules, à des vitesses normales, avant d’envisager un quelconque déploiement.
« C’est le chemin normal des innovations » explique un chercheur de l’INREST. « Les premières expérimentations se font souvent dans la sphère des compétitions sportives, ou dans le cadre d’une utilité sociale » Le CEREMH, (Centre de Ressources et d’Innovation Mobilité & Handicap) est le centre national de référence de la mobilité des personnes en situation de handicap. Les chercheurs y développent des véhicules adaptés à la conduite des personnes handicapées. Ils estiment, comme nombres professionnels de la santé, que le véhicule à conduite automatisée trouve ici toute sa légitimité.
Si en l’espèce on mesure évidemment l’intérêt, on peut légitimement se demander ce que la généralisation d’un véhicule sans volant pourrait réellement apporter.
Le véhicule à conduite automatisée permettra avant tout de sauvegarder des vies. C’est en tout cas l’objectif premier des défenseurs de la voiture sans pilote. Par définition, mais aussi par construction, le véhicule à conduite automatisée est sans accident. Il permettra de viser le zéro mort sur les routes et de passer définitivement d’une logique répressive et coercitive de la sécurité routière, à une solution entièrement technologique. . En France, le coût annuel en vies humaines perdues est estimé à 25 milliards d’euros par an, soit l’équivalent du déficit annuel de la sécurité sociale. Un budget pour l’Europe qui s’élève 200 milliards d’euros par an.
Le véhicule à conduite automatisée, permettrait aussi résoudre le conflit psychologique, entre le conducteur et son véhicule. Un conflit qui, ne va pas cesser de s’accroître, entre l’attention nécessaire que le conducteur doit porter à la conduite et celle qui est de plus en plus mobilisée par les applications de toutes sortes destinées à la détente et au loisir. Une voiture sans volant permettrait une fois pour toute de résoudre l’antagonisme. Elle offrirait au conducteur un nouvel espace-temps, qu’il pourrait dédier au repos aux loisirs ou au travail. Bien au-delà des prévisions de tendances des publicitaires, la voiture deviendrait alors l’exact prolongement de la maison ou du bureau, un nouvel instrument de productivité. Par ailleurs, cette mise à l’écart du volant banaliserait l’usage de la mobilité individuelle à ceux et celles qui n’ont pas le permis de conduire, aux enfants, aux handicapés et aux personnes âgées.
C’est sans doute, dans le domaine des transports en commun que le véhicule automatique fera d’abord son apparition. Les premiers prototypes sont déjà sortis des laboratoires.
Le CyCab est une petite voiture de deux places qui évolue sans pilote. Un ordinateur prend en charge son fonctionnement. Il analyse les informations qui lui sont transmises par des capteurs et prend des décisions : rouler, s’arrêter, tourner à gauche ou à droite. Le CyCab voit la route et s’y adapte. Pour cela, il est équipé d’un laser et d’une caméra qui lui permettent de suivre le marquage au sol et d’éviter les moindres obstacles. Chaque CyCab communique via Internet. Les véhicules peuvent ainsi échanger des informations entre eux.
Développé par l’INRIA, l’Institut National de Recherche en Informatique et Automatique, dans le cadre du projet européen CityMobil, le CyCab existe aujourd’hui à titre expérimental, notamment à l’aéroport d’Heathrow à Londres. « Le CyCab est sans doute le transport en commun de demain » estime Michel Parent, chef de projet. Le véhicule coûte, aujourd’hui 100 000 euros l’unité, mais s’il était produit dans des quantités comparables à celle des véhicules actuels, son prix pourrait diminuer de plus de la moitié. Les chercheurs estiment que son développement, à grande échelle, dépendra de la manière dont évoluera le marché de la voiture électrique.
Dans le monde de benjamin, le CyCab pourrait constituer le chaînon manquant entre le transport individuel et le transport collectif. Installé dans son canapé, Benjamin commande un CyCab par téléphone. Le central transmet la demande au véhicule le plus proche. Le CyCab s’est localisé exactement la maison de Benjamin. À l’intérieur du véhicule, Benjamin indique sur l’écran la destination, la voiture démarre.
L’industrie française est déjà en pointe sur ces marchés de véhicules automatiques, grâce au métro automatisé, comme le VAL ; dont la technologie, d’ailleurs, s’exporte indépendemmant du véhicule. Mais la réalisation d’un véhicule individuel à conduite automatisée demeure aujourd’hui un défi technologique d’envergure. Une masse considérable de logiciels, de capteurs et de calculateurs restent à développer avant de pouvoir espérer aboutir à une démonstration complète. Les chercheurs imaginent une première phase de transition avec un double
mode manuel ou automatique, permettant à l’automobiliste de conduire sa voiture sur une route classique, puis d’escamoter le volant quand il s’approche d’une ville ou quand il accède à une route intelligente.
Certains acteurs en tout cas s’impatientent. « Les moyens actuellement affectés au sujet, en Franc,e sont extrêmement limités et dispersés entre quelques universités ou laboratoires alors que ce développement demande au contraire une forte intégration » explique Laurent Gouzènes, vice président d’Européen R&D and Public Affaires de ST Micoélectronics. Il estime que l’objectif de disposer de prototypes totalement autonomes avant 2020 est parfaitement compatible avec la puissance des calculateurs. « À condition de pouvoir associer les industriels, les laboratoires publics et les fédérations professionnelles au sein d’un Institut du Véhicule Automatisé et des Infrastructures intelligentes, qui permettrait de fédérer les connaissances et les savoir-faire » conclut Laurent Gouzènes.
Les constructeurs se montrent nettement moins enthousiastes sur le sujet. Chez Renault comme chez PSA on estime qu’il s’agit là d’un simple rêve d’ingénieur et que le véhicule à conduite assistée n’est pas d’actualité. « Les constructeurs sont comme les conducteurs. Les ruptures technologiques les effraient et pour l’instant ils doivent se préparer à la plus immédiate, celle de l’électromobilité », confie un ingénieur. Pour Jean-Marie Blosseville de l’INSERT, « La voiture automatisée apparaît comme la suite logique de l’évolution de la mobilité, progressivement, la multiplication des assistances à la conduite va nous y amener.».
Faudra-il encore que la législation s’adapte à la technologie. Aujourd’hui, seul un véhicule avec un chauffeur a le droit de circuler sur la voie publique. La réglementation est dictée par la Convention de Vienne du 8 novembre 1968 :Tout véhicule en mouvement ou tout ensemble de véhicules en mouvement doit avoir un conducteur. ( Article 8 alinéa 1).
Toujours en vigueur et par ailleurs irrésistible, l’alinéa 5 de ce même article 8 précise : « Tout conducteur doit constamment avoir le contrôle de son véhicule ou le pouvoir sur ses animaux ».
De la calèche tirée par les chevaux, à la voiture sans volant, la route est-elle aussi nettement tracée ?
Non. La mobilité de demain dépendra aussi du comportement des conducteurs.
L’automobiliste sera-il prêt à perdre le volant? Ou au contraire va-t-il se rebeller contre une intervention à outrance de la technologie et de la collectivité, sur ce qu’il estime être le dernier bastion de sa liberté ? »